En Afrique, la microfinance catholique en plein développement
The market of the town of Tai, near the Tai National Park in Ivory Coast/Kafougue/https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/
Dans plusieurs pays en Afrique, l’Église catholique a ouvert des institutions de microfinance ou rachète des banques.
Si l’activité ne se fait pas sans risques, elle se veut un moyen de lutte contre la pauvreté et de soutien des personnes à faibles revenus.
André Roland Youm est un homme fier de l’institution dont il est directeur du partenariat, des études et du développement : Caurie-Microfinance, une institution de microfinance appartenant à l’Église catholique du Sénégal. « Aujourd’hui presque 140 000 clients, constitués à 90 % de femmes qui, à quelques exceptions près, sont dans le petit commerce », s’enthousiasme-t-il, assis dans son bureau à la rue de Douaumont, dans la ville de Thies, à 70 km à l’est de Dakar.
Dans ce pays très majoritairement musulman, « c’est surtout pour notre méthode d’approche, notre fonctionnement orienté client dans les zones rurales, que ces personnes nous sollicitent », souligne André Youm. En effet, « conformément à l’enseignement social de l’Église, Caurie-MF finance les activités des populations avec une option préférentielle pour les plus pauvres ».
En 2021, la microfinance catholique a ainsi fait 21 milliards de Fcfa (environ 32 millions d’euros) de production, avec un en-cours de crédit de plus de 14,6 milliards de Fcfa (plus de 22 millions d’euros) en fin d’année. « Il faut reconnaître que la Covid est passée par là et a beaucoup impacté notre situation de portefeuille, confie le directeur du partenariat. Après une phase de relance de nos activités, la situation économique est morose et cela a un impact sur les remboursements. La situation étant plus difficile pour les petits commerçants et artisans. »
« Lutter contre la pauvreté »
Fondée en 2005 au Sénégal, Caurie-MF fait partie des institutions financières créées par l’Église qui se lance de plus en plus depuis quelques années dans la finance en Afrique, notamment au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Bénin ou encore, plus récemment, au Malawi, où le diocèse de la capitale Lilongwe a racheté une banque. A lire : Malawi : le diocèse de Lilongwe rachète une banque
En Côte d’Ivoire, l’expérience jusque-là positive du Fonds catholique d’épargne et de crédit (Fcec) du diocèse de Yamoussoukro (centre), créé en 2008, est même en voie de s’entendre aux autres diocèses du pays. « Depuis octobre 2021, les évêques ont approuvé notre désir d’étendre le Fcec à tous les diocèses de Côte d’Ivoire. Nous parlons désormais du Fonds catholique d’épargne et de crédit de Côte d’Ivoire », explique le père Jacques Kouassi, président du conseil d’administration de la structure. Initiateur de cette première microfinance de l’Église catholique en Côte d’Ivoire, le prêtre assure qu’« il ne nous reste plus qu’à concrétiser certaines décisions à la prochaine assemblée générale pour que le Fcec soit légalement d’envergure nationale ».
À Yamoussoukro, les clients du Fcec « sont les hommes et les femmes de toutes confessions religieuses, les coopératives, les associations, les petites et moyennes entreprises, les paroisses, les groupes et mouvements d’actions catholiques », précise Estelle Etché, la directrice générale. Dans ce diocèse majoritairement rural, confie-t-elle, « le montant des prêts en une année se chiffre à près de 700 millions de Fcfa (environ un million d’euros). Le taux d’emprunt est de 17 %, il est linéaire pour un prêt ayant une durée maximale de 12 mois et dégressif pour un prêt ayant une durée minimale de 18 mois. Le taux de recouvrement est de 70 % ».
Si à travers ses institutions financières, ces Églises entendent « lutter contre la pauvreté et assurer une meilleure prise en charge des personnes à faibles revenus à travers l’octroi de crédit pour le développement de leurs activités », aux yeux du père Barnabé Korgo, docteur en économie, enseignant-chercheur, elles y vont aussi « sans doute avec le double objectif d’y trouver les moyens de financer leurs activités pastorales et d’« évangéliser » ce domaine de la vie économique. »
Finance éthique
Bien que l’ouverture de ces structures financière soit relativement récente sur le continent africain, « l’Église a toujours été et est encore présente dans ces activités, simplement parce qu’elles sont humaines. D’ailleurs, l’histoire et la doctrine sociale de l’Église montrent assez clairement que l’activité financière n’est pas une nouveauté dans l’Église », souligne le spécialiste d’économie.
Mais cette présence est mal perçue par certains, à l’instar d’Élie Mobio, catholique, qui s’interroge : « Investir dans la finance, pour une église qui se veut pauvre, ne serait-ce pas pour l’Église africaine servir deux maîtres à la fois comme le proscrit le Christ dans l’Évangile ? » Ce fidèle ivoirien dit ne pas « apprécier » le fait pour les diocèses africains de se lancer dans une activité « purement lucrative ». « Même si cela part d’une bonne volonté, les prêts accordés ne sont pas des prêts à taux nuls, commente-t-il. Quand on sait les risques d’une telle activité, on peut légitimement craindre que l’Église dilapide ses fonds comme dans l’histoire de l’achat d’un immeuble en Grande-Bretagne par le Vatican. »
Citant l’encyclique de Benoît XVI Caritas in veritate, le père Jacques Kouassi souligne pour sa part qu’« une “finance éthique” se développe surtout à travers le microcrédit et, plus généralement, la microfinance. Ces processus sont appréciables et méritent un large soutien. Leurs effets positifs se font sentir même dans les régions les moins développées de la terre ».
À ses yeux, la microfinance, « au regard de la justesse des propos du pape émérite Benoît XVI et de nos quatorze ans d’expérience dans le milieu », peut constituer un tremplin pour l’Église dans la réalisation de sa double mission spirituelle et temporelle. À condition, rappelle le père Korgo, de ne pas oublier que pour l’investisseur catholique, les risques sont doubles : « aux risques liés au calcul économique s’ajoutent les risques liés au respect des principes de l’enseignement social de l’Église ».
Guy Aimé Eblotié
Source: africa.la-croix