Denis Mukwege:
«Les Congolais paient une crise qui n'est pas née au Congo»
Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018.
Propos recueillis par Alessandro di Bussolo
Interrogé lors de de son passage à Rome, Denis Mukwege livre sa vision de la guerre dans l'Est de la République Démocratique du Congo et la crise humanitaire dans la région.
Denis Mukwege: Moi, je travaille dans un hôpital où je reçois toutes les tribus. Je constate que les gens mangent ensemble, partagent les lits, ils partagent tout et donc ce n'est pas un problème d'ethnie qui se battent. C'est beaucoup plus une guerre économique dans laquelle ceux qui créent cette guerre font la stratégie du chaos, ils entraînent un chaos dans la région pour permettre le pillage des ressources naturelles du Congo. Je crois qu'effectivement l'Église doit jouer son rôle. Mais c'est moins un problème de réconciliation entre les Congolais... C'est un problème qui a commencé après le génocide du Rwanda, en 1996 et après ce problèmes continue aujourd'hui, plus de 25 ans après, les Congolais continuent à payer une crise régionale qui n'était pas née au Congo, mais qui aujourd'hui fait beaucoup plus de dégâts au Congo que dans le pays où le génocide s'était passé.
Que demandez vous en tant que prix Nobel de la paix pour votre peuple?
Le Congo est agressé, le Congo subit une invasion, a subi l'invasion et aujourd'hui est occupé par les forces étrangères rwandaise associée aux terroristes du M23. Ce que nous demandons à la communauté internationale, c'est d'appliquer le droit international humanitaire qui demande à tous les États membres de Nation unies de pouvoir respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale des autres Etats.
La deuxième chose, concerne les résolutions qui interdisent aux Etats ou aux institutions de fournir les armes aux rebelles dans la région des Grands Lacs. Aujourd'hui, les preuves qui sont là et montrent très bien que les armes ont été données au M23. C'est un mouvement qui été défait, cantonné, donc, s'ils ont des armes aujourd'hui plus sophistiquées que les armes de la Monusco, cela veut bien dire qu'elles viennent de quelque part. Nous demandons des sanctions. Aujourd'hui, on voit même que des pays qui sont à l'origine de cette agression sont soutenus, reçoivent de l'argent de l'Union européenne. Et cela c'est scandaleux, de voir des pays qui agressent le nôtre et qui ont le soutien de l'Union Européenne. Nous demandons que cette complicité puisse s'arrêter. La souffrance a trop duré. La crise humanitaire en République démocratique du Congo est sans égale. 6 millions de personnes aujourd'hui sont déplacées sans maison, sans nourriture. Ce sont quand même des êtres humains! Ceux qui sont responsables et qui reçoivent en plus des aides, je trouve que c'est blesser tous ces Congolais qui sont dans la boue aujourd'hui sous la pluie, sans nourriture. Beaucoup d'enfants vont mourir, et ce que nous demandons c'est des sanctions plutôt contre ce pays au lieu de continuer à l'aider financièrement.
Aujourd'hui, ce qui se passe au Congo, on a l'impression que la communauté internationale laisse faire, laisse faire le Rwanda. Mais malheureusement, c'est l'histoire qui se répète. La communauté internationale est en train de faire la même erreur qui elle avait commise au Rwanda en laissant le génocide des Tutsis. Aujourd'hui les Rwandais sont en train de massacrer les Congolais. Ce sont des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre qui peuvent être même des crimes de génocides, et la communauté internationale ferme les yeux comme elle a fermé les yeux en 1994. A quoi serviront les victimes si dans dix ans, la communauté internationale se réveille pour se rendre compte de ses erreurs? Nous voulons de l'action maintenant.
Revenons à votre travail à Bukavu, à l'hôpital de Panzi. Quelle est la situation actuelle et de quoi avez vous besoin?
A l'hôpital de Panzi, nous avons une catégorie de malades qui reçoit les soins gratuitement. Ce sont d'abord les femmes victimes de violences sexuelles, que non seulement nous soignons, nous transportons, mais également que nous nourrissons et à qui nous fournissons des kits d'hygiène. Il y a tous les malades atteints du VIH sida qui sont pris en charge gratuitement. Tous les enfants qui souffrent et de malnutrition sont pris en charge gratuitement. Toutes les femmes qui ont des conséquences obstétricales aboutissant à des fistules, c'est à dire la communication entre la vessie et le vagin ou le rectum et le vagin et qui perdent les matières fécales ou les urines sans contrôle, nous les soignons gratuitement. Et aujourd'hui, nos moyens avec lesquels nous les prenons en charge, sont de moyens qui nous viennent des différents bailleurs, y compris les Églises. Ce dont nous avons besoin, c'est de pouvoir continuer à aider cette catégorie de populations abandonnées, rejetées et qui ne peut pas accéder aux soins. Et votre soutien peut être, bien sûr, le bienvenu.
Si vous aviez davantage de fonds, auriez vous le projet d'avoir un autre hôpital ailleurs au Congo, ?
Absolument. Je crois que les femmes viennent de très, très loin. Aujourd'hui, nous avons commencé à Kinshasa, mais nous allons où nous avons déjà des activités. Nous avons acheté un terrain à Kisangani où nous pensons que les femmes qui viennent de toute la région peuvent être traitées. Et nous avons également commencé des travaux dans les Sankuru à Loja, où nous pensons pouvoir aussi construire une clinique qu'on appelle le One Stop Center. Notre objectif est de rapprocher les soins des malades. Le grand problème, c'est que les malades qui doivent venir de très loin, ceux qui viennent par exemple de régions très au nord, c'est très très difficile de les amener jusqu'à Panzi. Il faut un avion jusqu'à Kinshasa, puis Goma et Bukavu. C'est trop cher pour nous. Nous pensons donc aujourd'hui qu'il faut délocaliser l'hôpital de Panzi pour avoir des centres qui peuvent faire le même travail que ce nous faisons en dehors de Panzi.
Quel est votre rêve pour le futur des femmes congolaises?
Je crois que je vais rêver avec les femmes congolaises qui, lorsque vous leur demandez ce qui est leur rêve, elles disent: avoir la paix. Je pense qu'avoir la paix en République démocratique du Congo, ça serait une denrée rare qu'on n'a pas eu depuis 25 ans. Mais c'est de cela dont nous avons besoin pour pouvoir reconstruire notre pays, donner l'avenir à nos enfants, éduquer nos enfants dans des conditions qui sont acceptables, que nos enfants puissent non seulement être éduqués, mais aujourd'hui nous avons la malnutrition tout simplement parce que les gens ne peuvent pas cultiver, ne peuvent pas travailler normalement. Notre rêve, c'est la paix.
Source: vaticannews