Notre ancêtre
Un visionnaire à l’écoute du monde Africain
Charles Lavigerie (1825-1892)
Il fut l'un des grands hommes de son temps, connu de Malte à la Pologne, en passant par Rome, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie..., sans oublier le Brésil, les États-Unis et le Canada où il avait des correspondants et bienfaiteurs pour les questions qui touchaient à la lutte contre l'esclavage des Africains et aux missions vers l'Afrique centrale (Sahara, Soudan et Grands Lacs).
Né en France, d'une grande intelligence et d'une foi solide, il suivit une brillante carrière ecclésiastique. Il fut professeur d'histoire de l'Église à la Sorbonne, Paris, directeur d'une œuvre pour aider les chrétiens orientaux (voyage en Syrie où il rencontre le sultan algérien Abd El Kader), diplomate français à Rome, évêque de Nancy...
En 1867, avec l'accord du pape, Lavigerie accepte l'offre que lui fait le gouvernement français de devenir archevêque d'Alger. Sitôt arrivé dans cette grande ville de l'Afrique du Nord, l'intérêt de Lavigerie dépasse vite le soin pastoral des chrétiens qui vivaient dans cette colonie française (depuis 1835).
Lavigerie utilise toutes ses capacités d'organisateur (et elles sont énormes) au service des orphelins d'une famine qui avait décimé le peuple algérien. Pour cela, il a fait appel à des hommes et à des femmes qui apprennent l'arabe, sont vêtus comme des Arabes ou des Kabyles, mangeant et vivant à la manière des Algériens de cette époque.
Archevêque d'Alger, Lavigerie avec un orphelin rescapé de la grande famine. Les vêtements de ce jeune montrent bien comment les premiers "Pères Blancs" portaient en fait le costume habituel des Algériens du 19e siècle, la gandourah (tunique), le burnous (cape) et la chéchia (bonnet de laine rouge). Lavigerie avait alors environ 45 ans (photo vers 1870).
Ainsi furent fondés deux instituts vite surnommées "les Pères Blancs" et "les Sœurs Blanches" (à cause de la tunique algérienne blanche dont ils étaient vêtus). Avec le développement des missions en Afrique subsaharienne (Afrique noire), les deux instituts prendront plus tard le nom de Société des Missionnaires d'Afrique (MAfr) et de Congrégation des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique (SMNDA).
Lavigerie était un visionnaire et un très grand organisateur. Il était un homme de foi et de décision. Il avait confiance en Dieu et en ces centaines de jeunes hommes et femmes qui répondirent à son appel de partir d'Alger vers les contrées du centre de l'Afrique. Il avait confiance en l'avenir des Africains et des Africaines.
Créé cardinal par Léon XIII et nommé "Primat d'Afrique", Lavigerie fit faire son portrait par Léon Bonnat, le peintre des personnalités (V.I.P.!) de l'époque. Le tableau, propriété de l'État français, est accroché au Musée national du Château de Versailles, France. Lavigerie avait alors 63 ans (le tableau a été peint en 1888).
Le pape Léon XIII, qui le traitait comme un frère, l'a nommé cardinal de l'Église romaine et primat d'Afrique sur le siège de saint Cyprien, à Carthage, Tunisie. Il est notre fondateur, le Cardinal Lavigerie ! Par son exemples et ses paroles, il nous a appris à aller à la rencontre des croyants de l'islam, des pratiquants des religions traditionnelles, des Africains et des Africaines, "à la manière de Jésus", selon ce qu'on peut en connaître en s'inspirant de la Bible et des Évangiles.Monument funéraire (cénotaphe) du Cardinal Lavigerie. D'abord à Carthage, Tunisie. Maintenant à Rome, Italie. Après sa mort (26 novembre1892), la renommée de Lavigerie s'emplifia au fur et à mesure que les historiens étudiaient sa participation active aux grands évênements de son époque. Dans le monde, la lutte antiesclavagiste. En France, le ralliement des catholiques à la République Française. Dans l'Église où, entre autres entreprises, il fut l'un des inspirateurs et l'organisateur hors paire des grandes missions catholiques vers l'Afrique centrale en même temps qu'il voulait ressusciter l'Église nord-africaine des saints Cyprien, Perpétue et Félicité, Monique et Augustin.
Mort du Cardinal (Michel Carbonneau)
Il y a 119 ans, le Cardinal Lavigerie
26 novembre, anniversaire du décès du Cardinal Charles Lavigerie (1825-1892), archevêque d'Alger et de Carthage, Primat d'Afrique, fondateur de la Société des Missionnaires d'Afrique qui comprend des prêtres et des frères («Pères Blancs»), et de la Congrégation des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique («Sœurs Blanches»). Il est traditionnel de rappeler le fondateur ce jour-là, dans toutes nos communautés de missionnaires. À Rome, c'est le P. Michel Carbonneau, originaire de Lévis, qui a fait mémoire du Cardinal à l'occasion de la messe du 26 novembre. Le P. Carbonneau est secrétaire général de notre Société et travaille à Rome, près du Supérieur général, le P. Richard Baawobr. Le portrait du Cardinal, en habit et bonnet de prince de l'Église, est l'œuvre du peintre Léon Bonnat, en 1888. Lavigerie qui vivait simplement mais qui soignait son image publique et l'idée qu'il donnait de la "grandeur de l'Église et de la foi chrétienne", a voulu être représenté la plume à la main et ses œuvres à ses côtés. Il est assis près d'une table où s'ouvre une carte géographique. Il s'intéressait aux découvertes récentes de l'intérieur du continent africain où déjà les premiers Pères Blancs travaillaient depuis 1878, dix ans après leur fondation à Alger en 1868.
Michel Carbonneau MAfr,
Rome, 26 novembre 2011
Le 26 novembre 1892, le cardinal Lavigerie meurt dans sa résidence épiscopale de Saint-Eugène, à Alger. Il avait 67 ans. Il faut admettre que toutes les nombreuses luttes que le cardinal avait livrées, au cours des dernières années, avaient ruiné sa santé, en particulier la campagne antiesclavagiste et le Ralliement pour la République en France. La paralysie l’avait gagné de plus en plus. Et à la suite d’une grippe et d’une bronchite, il reçut le Sacrement des Malades. D’ailleurs ses derniers mois furent une agonie prolongée où se révélaient sa résignation et son courage. Il passait la plus grande partie de son temps à prier et à s’abandonner à la volonté de Dieu.
Il est remarquable que la question de la traite des esclaves préoccupe le cardinal jusqu’à ses derniers jours. Les temps ont changé depuis son grand appel de 1888 en faveur de l’abolition de l’esclavage. Lavigerie s’en rend bien compte. Il prévoit maintenant une action des missionnaires pour venir en aide aux esclaves libérés : c’est l’objet de sa dernière lettre écrite le 23 novembre, soit 3 jours avant sa mort.
Au cours de ces derniers jours avant sa mort, une autre question préoccupe l’archevêque d’Alger. C’est la question des Églises orientales. On prépare alors, à Jérusalem, un congrès eucharistique pour l’année suivante. Pour Lavigerie, cet événement ne doit pas se réduire à une célébration liturgique éphémère. Ce congrès doit constituer un stimulant pour avancer plus loin vers le grand but à atteindre : l’union des Églises. Le 23 novembre, il remet au P. Michel, l’un de ses missionnaires Pères Blancs à Jérusalem, une enveloppe contenant 1,000 francs pour le comité organisateur du congrès eucharistique. Il a encore la force d’expliquer son geste : « J’ai consacré, dit-il, les débuts de ma carrière apostolique à l’Orient et je veux y consacrer la fin, au service de la communion entre les Églises d’Orient et d’Occident ».
Autour de son lit de mort étaient réunis les représentants de toutes ses œuvres d’Afrique : entre autres, Mgr Livinhac et le Père Michel de Jérusalem, le P. Delattre et l’abbé Bombard représentant Carthage et Tunis, Mère Salomé, Supérieure des Sœurs missionnaires d’Afrique, le P. Buffet, supérieur des Jésuites d’Alger, en plus de son secrétaire et de son médecin. Dans la nuit du 26 novembre, le cardinal Lavigerie rendait son âme à Dieu.
Cette mort, immédiatement connue en France, puis dans le monde entier, prit les proportions d’un deuil national et universel. Le Pape Léon XIII, apprenant la triste nouvelle, leva les mains au ciel, et rappela tout ce que l’Église perdait dans ce grand homme. Et moi, dit le Pape, je sens ce que je perds. Ce cardinal Lavigerie, je l’aimais comme un frère, comme l’apôtre Pierre aimait son frère André.
Dans son testament spirituel, après avoir rappelé son obéissance et dévouement pour le Pape, Lavigerie redit son amour pour l’Afrique. Il écrit ceci : « C’est à toi que je viens maintenant, ô ma chère Afrique ! Je t’ai tout sacrifié, il y a 17 ans, lorsque j’ai tout quitté pour me donner à ton service… J’exprime, encore une fois, mon espérance de voir la portion de ce grand continent revenir à la religion chrétienne… C’est à cette œuvre que j’ai consacré ma vie ».
Que peut-on dire de notre fondateur, cet homme singulier que fut Charles Lavigerie ?
On peut dire d’abord, que dès les débuts, il s’impose par sa dimension exceptionnelle. Il possède un tempérament passionné : passionné de l’homme et passionné de Dieu. Il est doué d’une capacité de travail remarquable et est capable de mener de front plusieurs entreprises de grande envergure.
C’est aussi un tempérament autoritaire, parfois excessif dans ses réactions. Il faut le dire, Lavigerie a souvent dérouté et parfois heurté ses interlocuteurs par sa manière de faire pression sur les personnes pour arriver à ses fins. Ou encore, il lui arrivait d’exprimer son désaccord avec une vivacité presque blessante. Mais lui-même le reconnaissait après-coup, et s’en excusait.
Le cardinal était un grand ‘manieur’ d’hommes. Il les embauchait partout où il les trouvait capables de le servir, puis une fois à lui, il les entraînait irrésistiblement. Il usait d’eux comme d’outils, tant qu’ils pouvaient servir, quitte ensuite à les changer dès qu’ils n’allaient plus à sa main. C’est ainsi qu’il eut, tour à tout, un grand nombre de secrétaires. Ceux-ci étaient d’ailleurs loyalement prévenus par lui-même à qui ils auraient à faire. Quand le cardinal me prit comme secrétaire particulier, raconte l’un d’eux, il me dit : « Mon enfant, aimez-moi comme un fils, je vous aimerai comme un père ; mais prenez garde ! Comme dit l’évangile : tu sais que je suis un homme austère, je moissonne où je n’ai pas semé ; et je ramasse où je n’ai pas répandu ! ».
Il a paru parfois difficile à certains de découvrir derrière cette personnalité imposante l’homme de cœur et plus encore l’homme de foi. Ce sont pourtant les dimensions majeures et fondamentales de Charles Lavigerie. Il porte en lui une capacité d’aimer sans limite, comme en témoignent sa devise « Caritas » et son attitude vis-à-vis des orphelins et le ton affectueux de certaines de ses lettres à ses missionnaires ou à ses amis.
C’est vrai qu’il est autoritaire, parfois jusqu’à l’excès, mais il se reprend, demande pardon et renouvelle sa confiance avec franchise et humilité. Un de ses serviteurs, nouvellement employé, raconte qu’une fois le Cardinal Lavigerie le gronda très fort et le renvoya. Mais ce serviteur apprit qu’en secret Mgr Lavigerie demandait autour de lui comment je prenais la chose. Puis quand l’épreuve a été assez longue, le Cardinal lui-même vint me trouver et me mit sur la tête sa calotte cardinalice en me disant : Mon cher ami, si la pourpre était donnée à l’humilité, ce serait à vous de la porter.
L’homme de foi, on le découvre dans les raisons de son acceptation du poste d’Alger et dans l’esprit missionnaire qui l’anime déjà. Mais on le retrouve plus encore dans ses enseignements et ses consignes à ses missionnaires. Pour lui, la mission est fondamentalement une œuvre spirituelle, qui requiert un engagement également spirituel sans demi-mesure. Ainsi il parle de la prière, du don de soi, de l’amour des gens, du respect qu’on leur doit, de la tendresse de Dieu.
Mgr Lavigerie était un homme bon, un homme de cœur. Ses emportements étaient habituellement suivis de confusions, de repentirs et d’excuses. Les préférences du cardinal étaient pour les gens du peuple. À la Marsa, il occupait un certain nombre d’ouvriers musulmans. Souvent il se rendait au milieu d’eux. Il s’asseyait simplement sur les racines d’un gros olivier, faisant approcher les travailleurs qui accouraient joyeusement. Il les saluait en arabe, les questionnait sur leurs petites affaires, leur parlait de Dieu. De temps à autre, il les régalait d’un mouton. Jamais un Arabe ne vint lui exposer ses misères sans repartir avec un secours proportionné à ses besoins.
Enfin, un autre trait de caractère que ses proches collaborateurs connaissaient bien, même s’il se manifestait peu en public, c’est la gaieté et l’humour qui marquent parfois le comportement de Mgr Lavigerie. Par exemple, dans une lettre qu’il envoie à son vieil ami, le chanoine Gatheron d’Alger, qui est atteint comme lui de la goutte, il écrit ceci :
« Cher et vieux débris, vous m’excuserez si je dicte cette lettre, car je ne suis pas moins débris que vous : la seule différence est que je suis pris de la goutte à la main et vous, vous êtes pris de la goutte au pied. Alors nous ne valons guère mieux l’un que l’autre. Et le Bon Dieu nous avertit chaque jour, en nous démolissant pièce par pièce, que le moment n’est pas loin où toute notre pauvre baraque s’effondrera… Tâchons de bien finir, mon cher ami, et ne nous faisons pas d’illusions sur ce que nous avons pu faire dans le passé, presque toujours cela a été de travers… ! »
On raconte aussi cette anecdote : Mgr Lavigerie, alors depuis longtemps archevêque d’Alger, se promenait un jour sur le quai d’une gare en France, sans aucun signe apparent de sa dignité. Un prêtre qui, comme lui attendait le départ du train, l’aborda et lui demanda : « Pardon, mon père, vous êtes missionnaire, n’est-ce pas ? Cela se voit à votre barbe. Hé oui, Monsieur l’abbé, je suis missionnaire, dit le cardinal. – Le prêtre reprit : « où donc êtes-vous missionnaire, si ce n’est pas indiscret ? Non, ce n’est pas indiscret, dit le cardinal, je suis en Algérie. – Le prêtre lui dit : Ah, vous êtes en Algérie ! Alors vous devez connaître notre ancien évêque, Mgr Lavigerie, car moi je suis de Nancy ? Mgr Lavigerie dit : Si je le connais, bien sûr que je le connais : je le vois de temps en temps ! Et le prêtre continue : « Est-il toujours aussi peu commode ? » « Ah, Monsieur l’abbé, dit le cardinal, il est pire que jamais, maintenant que le soleil d’Afrique lui a donné sur la tête ! »
Un jour, le cardinal était de passage à Naples. Très vite une foule l’entoure et demande : qui est ce cardinal ? Quelqu’un dit : « c’est le cardinal d’Afrique ! Et Mgr Lavigerie répond : « Eh bien oui, mes amis, je suis le cardinal de Carthage. » Puis quelqu’un demande : « qu’est-ce donc qu’il peut faire là-bas ? ». Et, avec la bonhomie souriante et spirituelle, le cardinal répond : « Écoutez un peu. Il y a plusieurs catégories de cardinaux dans l’Église. Il y a d’abord les plus parfaits, ceux de la première classe, ceux qui valent mieux que les autres, et ceux-là, le Pape en fait des archevêques de Naples. Et puis, continue Mgr Lavigerie, après les excellents, il y a encore les bons et il y en a beaucoup. Ceux-là, le Pape les garde à Rome, pour prendre leurs conseils et gouverner l’Église. … Et enfin, il y a ceux qui valent moins, et savez-vous ce qu’en fait le Pape ? Eh bien, ceux-là, le Pape les jette par-dessus la mer et les envoie en Afrique pour les corriger ». Alors la foule le regarde et on le plaint. Il povero. Il poveretto ! On lui demande combien de temps il sera là en pénitence et quand il en sortira ?
En conclusion, je voudrais dire ceci :
Le cardinal Lavigerie ne subsiste pas seulement par son œuvre. Ses grandes intuitions sont encore d’une singulière actualité.
À l’heure où les Églises africaines jouent un rôle de plus en plus important dans l’Église universelle, le cardinal nous rappelle que l’évangélisation en profondeur de l’Afrique doit être l’œuvre des Africains eux-mêmes.
N.B. : Ce texte a été prononcé au cours de l’Eucharistie du 26 novembre 2011, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du cardinal Lavigerie. Il est très largement inspiré par les livres suivants : (1) Xavier de Montclos, Le cardinal Lavigerie, Le Cerf 1991 ; (2) Jean-Claude Ceillier, Histoire des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). De la fondation par Mgr Lavigerie à la mort du fondateur (1868-1892), Karthala, 2008 ; (3) François Renault, Le cardinal Lavigerie, 1825-1892, L’Église, l’Afrique et la France, Fayard 1992 ; (4) Mgr Baunard, Le cardinal Lavigerie, Paris 1922, tome II ; (5) Abbé Félix Klein, Le cardinal Lavigerie et ses œuvres d’Afrique, A. Mame et Fils, éditeurs, 1897.
Michel Carbonneau
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