Comprendre la mission

Le Christianisme un mode de vie!

Pour comprendre le sens de la mission, il nous faut partir du projet de Dieu sur notre monde. Dans l'A.T. Israël a pris progressivement conscience que Dieu, puisqu'il est unique, était le Dieu de tous les peuples, de toutes les nations. C'est surtout à partir de l'exil qu'Israël prend nettement conscience qu'il n'y a qu'un seul Dieu et qu'il ne peut pas en avoir d'autres, qu'en dehors de Dieu, il n'y a que des idoles. Or qu'en est-il des nations? Si Dieu a fait alliance avec Israël, qu'en est-il des autres peuples? Dieu a-t-il aussi un lien, un rapport  avec les nations? Sont-elles exclues d'office du dessein de salut de Dieu?

Les récits de la création seront une première réponse: Dieu est le créateur de toutes choses et tout homme est créé à son image, est habité par le souffle divin qui lui donne vie. L'Arc-en-ciel symbolise cette alliance de Dieu avec toute la terre. C'est toute l'humanité et non seulement Israël qui est en relation directe avec Dieu comme dépositaire d'une promesse. "Dieu dit à Noé: "Voici le signe que j'établis entre moi et tous les êtres vivants qui sont avec vous pour les générations à venir. Je place mon arc dans la nuée pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre....alliance perpétuelle entre Dieu et tout être qui vit sur la terre" (Gn 9,12 ss.). Alliance universelle confirmée dans la promesse de Dieu à Abraham: " En toi seront bénies toutes les nations de la terre".

La pratique missionnaire d'Israël a été très diversifiée.
On peut relever trois formes d'universalisme dans l'A.T. (on les retrouve dans la pratique missionnaire de l'Eglise à travers les siècles) :

  • Un universalisme de domination: qui s'exprime par un effort de conquêtes des nations païennes, surtout au moment de la conquête de la terre.  Cet universalisme devint souvent un de destruction. Pendant un certain temps de son histoire, Israël a pensé qu'exterminer les nations faisait plaisir à Dieu. comme l'anathème: détruire tout ce qui appartenait à ces nations conquise. Donc un universalisme de domination à travers lequel les nations étaient vues comme soumises au Dieu des armées (YHWH SABAOTH), et par le fait même soumises à son peuple Israël.  Sans entrer dans les détails, dans l'histoire de l'Église, il y a eu aussi cette tendance centralisatrice en concernant l'universalisme du salut comme une sorte de domination ou impérialisme du christianisme face aux nations. Je cite simplement un texte du concile œcuménique de Florence (1442): " La sainte Église romaine et catholique croit fermement et professe, prêche que tous ceux qui restent en dehors de l'Église catholique, non seulement les païens, mais les juifs, les hérétiques, les schismatiques, ne sauraient avoir en partage la vie éternelle et ils iront tous au feu éternel qui a été préparer pour le diable et pour ses anges. A moins qu'avant la fin de leur vie sur cette terre, ils aient été reçus dans l'Église" (en 1952, le Saint-Office a excommunié un aumônier d'étudiants de l'université de Harvard qui affirmait la damnation de tous les hommes en dehors de l'Église catholique visible!). Cette conception de l'universalisme a connu son paroxysme dans les inquisitions de toutes sortes.
  • L'universalisme centripète: Israël voyait toutes les nations en marche vers Jérusalem. "Regarde tout autour et vois: tous se rassemblent, ils viennent vers toi...les trésors des nations afflueront chez toi, les richesses de nations viendront jusqu'à toi" (Is 60,1 passim). Cet universalisme voyait les nations absorbées par Israël. Et c'était comme cela que les nations pouvaient être sauvées. Elles ne pouvaient entrer dans le dessein de Dieu que dans la mesure où elles étaient absorbées par Sion. Toutes les nations en route  vers Sion. L'Église a connu (ce n'est peut-être pas uniquement du passé) aussi cette pratique missionnaire: la mission c'est l'absorption des païens dans le giron de l'Église catholique. C'est la mission conquête.  Cet agir missionnaire est encore vivace. Il n'y a qu'à voir l'importance que nous apportons aux statistiques, combien de baptêmes nous avons eu etc....
  • Il y a enfin l'universalisme décentralisé: cet universalisme est basé sur l'universalisme de l'amour de Dieu pour tous les hommes. L'intention originelle de Dieu à l'égard de l'homme déborde son intention de créateur et de providence. Il ne veut pas seulement l'existence de l'homme mais son salut, c.à.d. le suprême accomplissement de son être. Le salut n'est pas l'être propre à la créature comme telle, mais son être parfait à venir. Il consiste dans la participation à l'Être de Dieu. La destination de l'homme à l'alliance constitue la volonté originelle de Dieu, le sens et le fondement de sa volonté créatrice. Cet universalisme est déjà présent dans l'A.T. et c'est celui de Jésus dans les Évangiles. Il y a une affirmation claire et nette dans toute la bible et plus fortement dans le N.T. que Dieu est le Dieu de tous les hommes, qu'il aime tous les hommes sans exception). Même si Jésus a limité son activité à Israël, les Évangiles contiennent un enseignement extrêmement clair sur l'attitude vis-à-vis des païens. Quel est l'enseignement de Jésus à propos des nations? Il leur promet la participation au salut et cela même de façon inconsciente. En Mt 25, certains sont étonnés de voir qu'ils sont admis au festin du royaume alors qu'ils n'en ont jamais entendu parler (quand Seigneur t'avons-nous vu....). "Venez-vous les bénis de mon Père, prenez possession du Royaume que Dieu vous a préparé depuis la fondation du monde). Les invités qui sont au courant de la noce sont les juifs, ceux qui savaient que Dieu les invitait.  Jésus montre très clairement que les nations, les païens, ceux qui viennent du levant et du couchant, du nord et du midi (c.à.d. la totalité de la terre) sont invités à participer au festin. Il y a même des païens que Jésus donne en exemple dans l'Évangile: la veuve de Sarepta, Naaman le syrien. En parlant du centurion romain Jésus dit: "je n'ai trouvé une telle foi en Israël". Jésus a enseigné très clairement que toutes les nations qui ont vécu, qui vivent et qui vivront, qui ne sont pas officiellement dans le peuple de Dieu, sont à part entière partie prenante dans l'épanouissement final du royaume de Dieu. Elles seront incorporées au Royaume de Dieu à la fin des temps. Cette conception de la mission amène aussi une pratique missionnaire, celle revitalisée par le Concile Vatican II, Evangeli Precones et Redemptoris Missio. Dans la ligne de Vatican II, le P. K. Rahner nous rappelle que Dieu est en principe accessible à tous et à chacun, à chaque peuple. Ainsi est reconnue la valeur religieuse intrinsèque des religions du monde. Il ne suffit pas simplement de respecter ou de tolérer ces religions parce qu'elles sont un chemin par lequel Dieu se communique, mais il fut aussi en reconnaître la valeur salvifique. C'est la pratique missionnaire vers laquelle la société s'oriente surtout depuis le chap. de 1967. Cette ère nouvelle de la mission respire une vision aussi large que celle de Jésus, un approfondissement de notre propre foi, une sensibilité élargie envers le travail de Dieu dans notre monde et son projet de sauver toute l'humanité à sa manière. Cette pratique, je voudrais l'expliciter à partir d'un texte de s. Paul: Col 1,15-20. Dans ce texte, Paul montre très clairement  d'abord que le Christ est l'image parfaite de Dieu, c'est lui qui a rendu Dieu visible. Ensuite il développe l'idée que si la communauté loue le Christ comme celui qui était avant toute créature, pour qui et par qui tout existe et en qui tout subsiste, la communauté chrétienne sait qu'en dehors du Christ il n'existe rien, en d'autres mots: tout est dans le Christ. A travers ce texte de Paul la communauté chrétienne exprime sa pleine ouverture au monde. Le monde est du Christ et va vers le Christ. Ce texte de Col 1,15 ss. est fondamental pour élaborer une théologie de la mission. L'annonce chrétienne du salut consiste à faire connaître que le Christ est celui qui est à l'origine et au terme de toute l'aventure humaine. Il est celui qui a rendu visible l'amour de Dieu, c'est celui qui manifeste que Dieu a depuis toujours aimé le monde. cet amour n'admet aucune discrimination. Les manières dont Dieu se sert pour faire entrer les hommes dans cet amour font partie du mystère même de l'amour de Dieu pour nous.  Dans ce texte étonnant qu'il faut méditer, s. Paul dit que le Christ est à la fois Tête de l'univers  et Tête de son corps qui est l'Église.  La question est de nous situer comme missionnaires dans cette double relation entre le Christ et l'univers et entre le Christ et l'Église.

A la lumière de Mt 25, chaque fois que l'homme s'ouvre à Dieu et aux autres, chaque fois que se réalise l'amour véritable, le dépassement de l'égoïsme, le Christ est présent dans la vie de cet homme. Lorsque quelqu'un cherche la justice, la solidarité, la fraternité, lorsqu'il met l'amour, le pardon au centre de sa vie, il y a d'une certaine manière le christianisme, c.à.d. que c'est la structure christique de l'univers qui est en voie de réalisation et donc le dessein de Dieu qui s'accomplit. Le christianisme n'est pas une vision du monde plus parfaite que les autres ou une religion plus sublime, encore moins une idéologie. Il est une manière de vivre, dans la logique de la structure christique, ce que Jésus de Nazareth a vécu comme ouverture totale à l'autre et au grand AUTRE, amour sans discrimination aucune, fidélité inébranlable à la voix de la conscience et dépassement de ce qui enchaîne l'homme à son propre égoïsme.  "Là est le Christ, là est l'Église" a écrit Moltmann dans un très beau livre sur l'Église [1]. Pour m'assurer de mon orthodoxie je cite un texte étonnant de Ratzinger: "Ce n'est pas le partisan d'une confession qui est le vrai chrétien mais celui qui par sa vie est devenu vraiment humain. N'est pas véritablement chrétien que celui qui suit servilement un système de normes, uniquement préoccupé de lui-même, mais celui qui est devenu libre et disponible pour la bonté simple et humaine [2]". Appartient au Christ celui qui vit et réalise par sa vie de manière imparfaite, approximative (tant que nous sommes en pèlerinage) ce que le Christ a réalisé. Dieu est présent chez les nations, opérant son propre travail, son affaire qui n'est rien de moins que le salut de tous les hommes. La mission c'est d'abord et avant tout l'action de Dieu au cœur de notre monde et cela depuis ses origines et jusqu'à l'accomplissement des temps.  Si Dieu est présent et actif dans notre monde, Dieu est en train de sauver tous les hommes, alors une question cruciale se pose à nous: quelle est alors notre tâche missionnaire? Laissons les gens tranquilles, rentrons chez nous puisque Dieu est à l'œuvre.


 

[1]MOLTMANN, L'Eglise dans la force de l'Esprit.
[2]RATZINGER, La foi chrétienne hier et aujourd'hui, p.187