Afrique


« J’ai l’impression d’être une pestiférée » :
quelle pastorale pour les divorcés remariés en Afrique ?


Une jeune dame pensive, au balcon de son appartement/Illustration/Guy Aimé Eblotié/LCA

En Afrique comme ailleurs, de nombreux catholiques qui ont eu un premier mariage religieux, ont ensuite civilement divorcé avant de se remarier. Cette situation qui provoque généralement une privation des sacrements est parfois douloureusement vécue par les principaux concernés qui peuvent se sentir exclus de l’Église. Quel accompagnement pastoral l’Église en Afrique peut-elle leur proposer ?

« Je suis catholique mais je ne vais plus à l’église sauf pour les obsèques de mes proches », confesse Marie-Lyne, retraitée ivoirienne de 67 ans. « J’ai divorcé de mon premier époux car la situation était devenue intenable puisqu’il était alcoolique. Je me suis ensuite remariée avec un homme lui-même divorcé. J’allais à l’église, j’étais impliquée dans des associations catholiques mais le fait de ne plus avoir droit à la communion faisait que je me sentais stigmatisée. »

« Dans mon histoire, je suis une victime collatérale, raconte Francine, une enseignante sénégalaise vivant à Dakar. Je ne suis personnellement pas divorcée mais mon mari était divorcé depuis 7 ans quand nous nous sommes mariés. Comme son premier mariage a été sacramentel, le nôtre n’est pas reconnu par l’Église. Je vais toujours à l’église mais je suis plus discrète, je m’assois derrière. J’ai parfois l’impression d’être une pestiférée. » La quadragénaire préfère désormais l’adoration du Saint-Sacrement et la prière du rosaire. « Ce sont deux prières personnelles. Je ne me sens pas jugée. »

En Afrique comme ailleurs, le divorce n’épargne pas les catholiques. Comme Marie-Lyne et Francine, de nombreux catholiques africains divorcés ont choisi de refaire leur vie. Mais choisir de se remarier civilement après un premier mariage sacramentel revient à être privé des sacrements.

C’est en tout cas ce qu’explique le père Louis Philippe Amako, docteur en théologie pastorale : « Le divorce conduit à la privation des sacrements (la réconciliation et l’eucharistie notamment) lorsqu’il survient une infidélité au sacrement célébré ». Autrement dit lorsqu’un re-mariage civil est célébré en l’absence de déclaration de nullité du précédent mariage par l’Église. « L’Église catholique a une approche assez claire sur la question des divorcés remariés, qui est surtout centrée sur la réception des sacrements (notamment celui de l’eucharistie) », abonde le père Loïc Mben, théologien jésuite.

Mais, « aux numéros 297 et suivants de son exhortation Amoris Laetitia, le pape François affirme que l’Évangile ne veut exclure ni condamner personne. Il invite les pasteurs à savoir analyser les cas qui se présentent pour admettre ou non à la communion », souligne toutefois le père Amako. Dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio publiée en 1981, le pape Jean-Paul II posait déjà les bases d’un discernement au cas par cas : « Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations ».

Un malentendu pastoral

Sœur Josée Ngalula, religieuse congolaise membre de la Commission théologique internationale, pointe un malentendu pastoral dans la situation des divorcés remariés. Elle établit ce constat après une enquête auprès d’un demi-millier de divorcés remariés dans une soixantaine de paroisses de Kinshasa.

La quasi-totalité des 250 couples qu’elle a rencontrés cherchait, à travers le mariage religieux, la « bénédiction divine » là où l’Église leur propose un sacrement indissoluble qui les introduit « dans une dimension nouvelle de leur amour, en le situant au cœur de l’amour de Dieu pour l’humanité, pour en faire un signe de l’amour du Christ et de l’Église ». La théologienne en déduit que « l’homme et la femme qui s’approchent de l’Église pour demander le sacrement du mariage ne semblent pas avoir la même définition du mariage que la discipline ecclésiastique, et par conséquent il y a un écart entre la demande pastorale et l’offre pastorale. »

Aline, divorcée ivoirienne de 45 ans qui a fait le choix de ne pas se remarier, approuve l’analyse de la religieuse. « C’est vrai que lorsqu’on se marie, on se dit surtout que Dieu bénit notre union et nous protègePersonnellement, bien que consciente de l’indissolubilité du mariage sacramental, c’est la bénédiction qui m’importait plus ». Un curé ivoirien qui a requis l’anonymat confirme aussi ce constat en y mettant un bémol. « Normalement, quand la préparation au mariage est bien faite, on a conscience que le mariage n’est pas seulement bénédiction divine. C’est un engagement pour la vie. Mais les préparations au mariage sont-elles bien faites, ne privilégie-t-on pas les festivités ? »

Pistes pastorales

Quels propositions imaginer pour les divorcés remariés ne sentent pas exclus de l’Église d’autant plus que, comme le fait remarquer sœur Ngalula « dans nos paroisses catholiques, nous voyons plusieurs catholiques déjà « divorcés remariés », découragés par la discipline ecclésiastique, tomber dans la tentation d’aller chercher la bénédiction nuptiale chez les protestants, pentecôtistes ou églises de réveil » ?

L’Église catholique a déjà tenu trois synodes sur la famille (en 1980, 2014 et 2015) qui se sont tous penchés sur la question des divorcés remariés. Dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio, publiée en 1981, par exemple, le pape Jean-Paul II « exhorte chaleureusement les pasteurs et la communauté des fidèles dans son ensemble à aider les divorcés remariés ». Il donne également quelques pistes pastorales : « Avec une grande charité, tous feront en sorte qu’ils ne se sentent pas séparés de l’Église, car ils peuvent et même ils doivent, comme baptisés, participer à sa vie, insiste-t-il. On les invitera à écouter la Parole de Dieu, à assister au sacrifice de la messe, à persévérer dans la prière, à apporter leur contribution aux œuvres de charité et aux initiatives de la communauté en faveur de la justice, à élever leurs enfants dans la foi chrétienne, à cultiver l’esprit de pénitence et à en accomplir les actes, afin d’implorer, jour après jour, la grâce de Dieu ».

Dépasser un certain juridisme

Du côté des conférences épiscopales en Afrique, la question des divorcés remariés n’a pas fait l’objet d’autres directives que celles énoncées par le magistère romain et dans les différentes exhortations apostoliques post-synodales. Le père Joseph Loïc Mben, jésuite et théologien camerounais, propose quelques pistes pour que les personnes se trouvant dans ces situations puissent pleinement vivre leur foi au sein de la communauté catholique.

Pour lui, l’approche pastorale sur les divorcés remariés doit dépasser un certain juridisme. «Il me semble que la première chose est de dépasser le focus sur les sacrements, précise-t-il. Ces derniers sont certes au cœur de la vie chrétienne, mais la vie chrétienne ne se limite pas à la réception des sacrements ». Dans ce sens « la communauté doit intégrer les couples de divorcés remariés, ce qui signifie une attitude compréhensive, le pardon, l’accompagnement et l’espérance », ajoute-t-il citant l’exhortation apostolique Amoris Laetitia.

Le prêtre jésuite cite deux principes de discernement proposés par le pape François : la gradualité et le degré de responsabilité. « La loi de la gradualité présuppose que les êtres humains sont capables de croissance et qu’ils sont à des niveaux différents de croissance personnelle et spirituelle, explicite-t-il. Elle reconnaît aussi que le progrès n’est pas linéaire et que le péché est présent dans nos vies ». Et d’ajouter : « Prendre en compte le degré de responsabilité signifie que les effets et conséquences ne doivent pas être les mêmes pour tout le monde. Présentement, la loi de l’Église ne différencie pas les conjoints coupables et de ceux innocents dans le cas de divorce. » À ses yeux, ces deux principes sont une invitation aux Églises locales « à définir des normes qui vont guider les pasteurs sur le terrain de telle manière qu’il n’y ait pas de trop grand écart dans la pratique ».

Il estime enfin que l’Église pourrait s’inspirer, dans sa réflexion des Églises des premiers siècles. « Les remariages étaient permis sous certaines conditions, précise-t-il. Les conjoints étaient parfois soumis à une pénitence qui pouvait durer plusieurs années, mais étaient éventuellement réadmis à la communion ».

Une attitude humaine et chrétienne

Le père Jean-Paul Sagadou, religieux assomptionniste souhaite, de son côté, l’Église en Afrique ait « une attitude humaine et chrétienne, c’est-à-dire à ne pas juger et encore moins condamner ». « Il est important d’apprendre à connaitre l’histoire de ces couples, explicite-t-il. Car, quand on connaît leur histoire, on est plus porté à comprendre, à compatir, à aimer et à prier qu’à critiquer. Mais l’Église fait peu d’effort dans ce sens. Elle est souvent dans une posture de « juge », mettant en avant sa morale ».

Aux personnes impliquées dans ces unions, le religieux recommande de garder l’espérance, de continuer à prier mais aussi et surtout de ne « pas sombrer dans l’indifférence » et de continuer à aimer. « Il ne faut penser qu’il n’y a rien à faire et que, de toute façon, Dieu (et l’Église) ne s’occupe pas de nous », explicite-t-il.

Pour le père Serge Martin Ainadou, prêtre béninois du diocèse de Cotonou, une première disposition est déjà d’améliorer la préparation des couples avant le sacrement de mariage. « Cette disposition de fondation préalable n’exclut pas cependant un autre défi plus classique, celui d’une écoute bienveillante et d’une présence de l’Église aux côtés des couples ou bien des familles confrontées à de réelles situations de crise menaçant l’équilibre du mariage, souligne-t-il. Ils ont souvent besoin d’être fraternellement soutenus dans la prière, le dialogue et par une formation continue ».

Enfin, la théologienne Josée Ngalula, dans sa réflexion sur les divorcés remariés, cite quelques initiatives mises en place dans des diocèses en France et qui pourraient éclairer la pastorale sur le continent africain. Il s’agit des groupes « Espérance », mis en place par le diocèse de Rouen, en France, et dont le but est « Une présence d’Église auprès des personnes dans le questionnement lors d’un remariage ou remariés, pour un accueil inconditionnel dans le but de les aider à se relever, à se reconstruire, à trouver leur place dans l’Église ».

Ou encore l’initiative « Divorcés remariés, osez choisir la vie ! », également présente dans plusieurs diocèses et qui s’adresse aux « personnes séparées ou divorcées, qui peinent à retrouver un équilibre, ont le désir de trouver un nouveau sens à leur existence d’aujourd’hui ».

Lucie Sarr

Source : africa.la-croix

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